Déjouer le sexisme

« C’est pour une fille ou pour un garçon? ». La vendeuse attend ma réponse, l’air avenant. « Pardon, je pensais être dans un magasin de jouets pour enfant, en quoi le fait d’avoir un vagin est-il pertinent? ». Bon, vu son sourire crispé et son regard distant, j’y suis encore allée trop fort. Je m’étais promis d’être plus pédagogique; c’est un échec. Un comble dans une histoire de jeux. Bref, je bredouille une excuse inaudible et file me réfugier dans les rayons du magasin.
Merveilleux. D’un côté, un univers rose, doux, pelucheux, peuplé de poupées, de kit de fabrication de bijoux et de carnets intimes. De l’autre, du noir, du rouge, de l’action, des aventures extraordinaires et des super-héros. Ah, un panneau m’indique que le premier rayon concerne les filles, le second les garçons, au cas où subsistait un doute.
Manque de bol, ma petite nièce voudrait être astronaute. Je vais devoir lui expliquer qu’ils ne font pas de modèle pour fille et qu’elle devrait plutôt songer à une reconversion professionnelle. Elle pourrait être maman, à la place. C’est bien, être maman. Je pourrais lui acheter une poupée et retourner mater Netflix l’esprit tranquille.
Sauf que non, je ne suis pas d’accord (voilà comment on n’avance pas du tout sur la dernière saison de Handmaid’s Tale). Pourquoi suis-je toujours considérée comme la weirdo de service lorsque j’offre des poupées aux anniversaires des fils de mes ami×es? Pourquoi mon père me regarde-t-il avec cet air un peu gêné quand vient le temps des cadeaux à Noël et que j’ai accidentellement remplacé « Princesse Parfaite » par « Histoires du soir pour filles rebelles » dans la chaussette de ma filleule?
Ouvrir le champ des possibles
Aujourd’hui encore, les jouets traditionnellement attribuées aux petites filles les cantonnent au maternage, à l’intimité et à l’apparence physique, tandis que les petits garçons sont poussés vers l’exploration, le dépassement de soi et l’autonomie. Or, derrière chaque jouet se cachent de nouvelles aptitudes à acquérir : un·e enfant écrivant dans son carnet intime apprendra à exprimer ses émotions, tandis qu’un·e autre construisant un engin mécanique entrainera son esprit logique.
Séparer les univers de jeux peut donc empêcher les enfants de développer des compétences généralement attribuées à l’autre sexe. Là où généralement les garçons améliorent la maitrise de leur corps et apprennent à mieux se repérer dans l’espace, les filles développent leur empathie et leur minutie. Mais ces compétences ne sont-elles pas utiles aux deux genres?
Il ne s’agit pas de refuser ou d’imposer un type de jouet à un·e enfant, mais d’ouvrir l’éventail de ses choix, de ne pas le limiter aux seuls jouets socialement attribués à son genre. D’autant plus que la répartition sexuée va induire un conditionnement chez l’enfant. Les petites filles, habituées à soigner leurs poupées et à faire la dinette, vont plus tard davantage se tourner vers les secteurs professionnels de la santé, du soin aux personnes, de l’enseignement. Des carrières bien moins rémunératrices que les filières scientifiques et techniques où sont poussés les petits garçons.
Deux vélos plutôt qu’un
« Mais c’est elle qui veut une poupée! ». En voilà une phrase souvent entendue. Et oui, c’est vrai : dès qu’iels sont en âge de choisir, les enfants se tournent prioritairement vers les jouets traditionnellement réservés à leur genre. Mais est-ce réellement leur choix? Ou est-ce celui de leur entourage, du marketing et de la société?
Les enfants ne s’identifient pas comme fille ou comme garçon avant d’avoir atteint l’âge de deux ans et demi. Cependant, leu entourage genre leur environnement bien avant cela, de la décoration de leur chambre au choix de leurs vêtements et jusque dans leur manière de communiquer avec eux. Quant aux entreprises de jouets, elles ont tout à gagner à proposer des jouets pour filles et d’autres pour garçons. Pourquoi ne vendre qu’un seul vélo rouge quand on pourrait en vendre deux : un rose à pompons et un Spiderman?
Quel serait le jouet idéal?
Alors, quel serait le jouet idéal? En bon parent progressiste, quoi offrir à nos enfants? Il ne s’agit pas forcément de tirer une croix sur les jouets genrés. Le jouet en lui-même n’est pas sexiste. C’est le fait de le réserver à un genre qui est sexiste.
En d’autres termes : proposons des journaux intimes et des peluches à cajoler à nos garçons, des voitures téléguidées et des ballons de foot à nos filles. Voyons ce qu’iels en font. Aidons-les à développer leurs gouts et leurs compétences non pas en fonction de normes imposées, mais de leurs réelles préférences. Offrons-leur des équipements sportifs, des instruments de musique, des jeux de société et de construction. Encourageons-les dans leur singularité et leur créativité. Laissons-les libres de devenir qui iels veulent. Et construisons un monde plus égalitaire, brique après brique.