L’égalité ou un sort?
Ce dimanche, comme beaucoup de monde au Canada, j’ai eu l’occasion de distribuer des dizaines de bonbons – pas du tout écologiques dans leurs emballages en plastique individuels – à une ribambelle de vampires, sorcières, princesses et zombies en tous genres venu·es toquer à ma porte, avides de sucre et de colorants chimiques.
Si mon cœur fond toujours devant la mignonnerie des plus jeunes, aux pas incertains et au courage menaçant de prendre le bord au moindre bruit suspect, certains costumes sont aussi un cruel rappel de la course inéluctable du temps et de l’obsolescence programmée de ma coolitude. Non, mais vous connaissez Stella, de la Pat Patrouille, vous?
Mais trêve d’auto-apitoiement. Chaque année, Halloween me donne l’occasion de me livrer à quelques observations sociologiques intéressantes. Et c’est plutôt de ça dont je vais vous parler.
Le mépris du rose
Si j’ai vu de nombreuses superhéroïnes, quelques guerrières et même une scientifique plutôt inquiétante sur mon perron cette fin de semaine, je n’ai vu absolument aucun garçon déguisé en princesse, en fée, ou en princesse-fée – qui sont les trois options les plus populaires dans les rayons « filles » des boutiques de costumes de fête si je me fie à ma propre expérience.
Comme souvent, alors que les filles s’approprient les codes « masculins » avec une certaine facilité – gagnée de haute lutte je vous l’accorde – l’inverse est rarement vrai. Quand Kylie, 8 ans, veut se déguiser en Spider-Man, tout le monde trouve ça mignon. Quand Marc, 8 ans, réclame un costume de Reine des neiges, on l’oriente gentiment vers une autre option.
Et voilà comment s’inscrit insidieusement dans les petites têtes qu’il y a quelque chose d’un peu honteux pour un homme à vouloir ressembler à une femme, même si c’est le personnage principal du dessin animé qu’il regarde tous les jours depuis six mois. Que les « trucs de filles » sont quand même moins bien que les « trucs de gars » et qu’il est au final bien normal de les mépriser un peu, ces nunuches en robe pailletée.
La plupart du temps, ce seront des gestes inconscients, des petites phrases innocentes et des refus à peine formulés. Des « ça c’est pour les filles » et des « oh, tu sais, les garçons sont comme ça ». Rien de bien grave, rien d’ouvertement sexiste ou rétrograde. Juste un regard de côté, un t-shirt rose rangé au fond du placard, un rire un peu gêné.
Je ne dis pas que les parents ou les enseignant·es font mal leur job – loin de moi cette idée, mon Dieu que je respecte leur dévouement et leur patience en ces temps de télétravail et d’école à la maison. Mais à la croisée des frontières du genre, encore aujourd’hui, les filles montent en grade quand les garçons déchoient, merci au patriarcat.
Des répercussions à long terme
Vous allez me dire que je chiale encore pour pas grand-chose et qu’il y a plus important qu’un costume d’Halloween. C’est vrai. Mais la construction sociale genrée de nos enfants a des répercussions majeures sur leur avenir, sur leurs chances de réussite et leur épanouissement.
En n’encourageant pas nos garçons à explorer des modèles féminins forts, nous les privons de tout un éventail de couleurs, d’émotions, de compétences qui leur seront utiles toute leur vie et nous renforçons chez nos filles l’idée qu’elles ne seront jamais suffisamment bien.
Tout le monde a le droit aux paillettes, aux jupes qui tournent comme aux pantalons qu’on peut tacher, au rose comme au noir, au pelucheux comme au pointu. Réinventons les règles du jeu.