En cours de lecture
Miroir, dis-moi qui est la plus mince

Miroir, dis-moi qui est la plus mince

Hier soir, j’étais en train de me servir une part d’une délicieuse tarte aux pommes cuisinée avec amour (merci le confinement!) quand le refrain bien connu des complexes et de la culpabilité a ressurgi : « C’est combien de calories, une tarte aux pommes? 300? 400? 1000? Ai-je fait assez de sport aujourd’hui pour me le permettre? Il faudrait que j’aille courir au moins 30 minutes pour tout éliminer. Qu’ai-je mangé d’autre aujourd’hui? Suis-je déjà trop grosse? Suis-je moche? M’aimera-t-on encore si je suis moche? Vais-je finir seule, mangée par mon chat? ».

Pendant que tout ce charmant petit dialogue se déroulait dans l’intimité de mon cerveau, devinez ce que faisait mon compagnon? Il se préparait une généreuse boule de glace à la vanille pour accompagner sa part de tarte aux pommes. Est-ce que je souffre de troubles alimentaires? Je ne pense pas. Je suis simplement bercée, comme beaucoup d’autres femmes (et de plus en plus d’hommes, malheureusement), par les insidieuses berceuses des magazines féminins, de la publicité et de la société de consommation, depuis ma plus tendre enfance. 

Le poids des apparences

À douze ans, à l’instar de ma mère, je jonglais parfaitement avec les points du célèbre régime Weight Watchers et savais parfaitement quel aliment privilégier pour « garder la ligne ». Toute ma vie, ou presque, j’ai alterné les phases de lâcher-prise et de résistance aux diktats de la beauté et les phases de « reprise en main » musclée.

Avec une même constante : je me suis toujours trouvé grosse, à 52 kilos comme à 65. Il ne s’agit donc pas d’un problème de poids, mais d’image de soi. J’ai beau le savoir, cela n’y change rien. Le rapport que j’entretiens avec mon corps reste inquiet. Pourquoi?

Partout, de nos écrans de télévisons à nos journaux, de nos supermarchés à nos réseaux sociaux, s’étalent les images photoshopées, les corps musclés, fins, blancs, glabres, tout autant d’objectifs de perfection inatteignables. Partout, l’injonction est palpable : tu seras belle, ma fille, ou tu ne seras pas. Tu puiseras ta force dans la séduction, tu te pareras de tes plus beaux atours et susciteras le désir, ou tu n’existeras pas. Une pression constante et insidieuse qui nous conduit à accepter que notre valeur dépend essentiellement de notre apparence.

« Oh, qu’elle est jolie », s’exclamait-on quand j’avais à cinq ans en me pinçant la joue. « Elle va faire tourner la tête des garçons », prédisait-on à mes parents lorsque j’en avais dix. « Tu es belle », se permettaient de me dire des inconnus alors que j’en avais quinze. « Tu es rayonnante ce matin », me complimentait mon collègue l’autre jour. Rien de bien méchant là-dedans. Sauf que si je fais le calcul, la majorité des compliments reçus en trente-cinq ans de vie concernent mon apparence physique. En aurait-il été de même si j’avais été un garçon?

Beauté standardisée

La beauté est subjective, entend-ton souvent. Elle dépend des modes et des époques. C’est certain : il suffit de comparer les Trois Grâces dessinées par Pierre Paul Rubens en 1639 à Bella Hadid ou Beyoncé pour nous en rendre compte. Néanmoins, une constante demeure à travers les âges : celle d’imposer des standards aux femmes. Les corps et les visages ne se pliant pas à ces normes seront insultés, ridiculisés, critiqués. Qu’est-ce que la beauté aujourd’hui? La jeunesse, assurément. La minceur. L’absence de « tares » : cicatrices, tâches, cellulite, rides, handicaps. Un corps « sain », à savoir un corps contrôlé, normé, lissé, entretenu. Un corps performant, voilà le bon mot. Qui sont les moches? Les vieux, les pauvres, les gros, les malades. Ceux qui « ne se prennent pas en main », celles qui « se laissent aller ». Tu es grosse? C’est parce que tu es paresseuse et cela n’a rien à voir avec le lobbying des industries sucrières ou une quelconque condition médicale.

Une enquête québécoise a démontré que les femmes passaient en moyenne quinze minutes par jour devant le miroir à s’hydrater le visage, se maquiller et se coiffer. Soit plus de 90 heures par an passées à essayer d’améliorer son apparence physique. Alors, certes, se maquiller peut s’avérer une source de plaisir et d’expression créative. Mais ça fait quand même beaucoup de temps, non? Outre la perte d’argent et d’énergie, la peur de ne pas plaire va entrainer un sentiment d’insécurité chez les femmes. D’autant plus qu’elles ne se comparent plus, merci Internet, à Gisèle B., la petite cousine de France, mais à Gisèle B., mannequin international. Difficile de rivaliser, en effet. Ce qu’ont très bien compris les marques cosmétiques, qui s’enrichissent allégrement sur nos complexes.

Les gens heureux n’achètent pas une crème amincissante à 200 $.

Faire la paix

Alors, si on arrêtait? Si on décidait, là, maintenant, de devenir gentille avec nous-même. D’écouter notre corps et de faire la paix avec lui. Si l’on commençait à peupler nos réseaux sociaux de femmes inspirantes et engagées avec des morphologies et des beautés différentes? Si l’on habituait son œil à quelques kilos de plus, quelques centimètres de moins, quelques cicatrices, quelques rides? À ne voir que les mêmes corps chaque jour, on en oublie les autres. Que toutes les beautés existent et ont le droit d’être célébrées.

Voir les commentaires (0)

Laisser une réponse

Votre email ne sera pas publié.

© Julie Gillet 2022 Tous droits réservés.