Cette chronique n’est pas drôle, mais elle est nécessaire
Le 25 novembre, nous célébrons la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Est-ce que j’ai envie de parler de violence conjugale dans cette chronique? Non. Je préfèrerais vous faire rire avec des jeux de mots plus ou moins réussis et me réjouir de l’arrivée d’une femme à la vice-présidence des États-Unis.
Est-ce qu’il faut que je parle de violence conjugale dans cette chronique? Oui. Parce que la parole des femmes doit être entendue. Parce qu’on en a assez. Parce qu’il est temps que ça change et que le problème nous concerne toutes et tous.
Une femme sur quatre connait la violence conjugale
Comme près d’une femme sur quatre au Canada, j’ai connu la violence conjugale. Je connais l’incompréhension, la surprise et l’effroi. Je connais la douleur. Je connais la panique de ne pas avoir mon cellulaire sur moi, enfermée dans la salle de bain. Je connais la peur de ne pas pouvoir appeler à l’aide, de ne pas pouvoir quitter assez rapidement mon appartement. Je connais aussi les chiffres de la violence conjugale : en moyenne, une femme est tuée par son partenaire intime tous les cinq jours au Canada.
L’endroit le plus dangereux pour une femme, ce n’est pas une ruelle sombre ou un chemin d’arrière-montagne : c’est chez elle. Presque toutes les femmes assassinées au Canada le sont par un conjoint, un ex-partenaire ou un membre de leur famille.
Je ne suis pas particulièrement à plaindre. Je possédais les ressources sociales et matérielles nécessaires pour fuir la solution de violence dans laquelle j’étais. Mais combien de femmes n’ont pas cette chance? Combien d’amies devrons-nous encore accueillir chez nous en pleine nuit? Combien d’inconnues entendrons-nous encore hurler avant que cela cesse?
La violence a un genre
Je suis fatiguée. Fatiguée de devoir réexpliquer sans cesse, que oui, la violence a un genre, et que non, une femme qui crie sur son mari, ce n’est pas la même chose. Que la violence conjugale se retrouve dans tous les groupes sociaux, économiques et culturels. Qu’elle n’a pas d’âge, pas de couleur, pas d’excuse. Fatiguée de ces médias qui osent encore parler de « crime passionnel » ou de « dispute qui tourne mal ». Fatiguée du manque de formation des forces policières, des médecins, des juges. Fatiguée du silence des voisin·es et des proches qui ne veulent surtout pas se mêler des histoires des autres.
Fatiguée des conseils de ceux qui ne connaissent pas mais jugent. Je suis fatiguée de devoir montrer des chiffres, des statistiques, des graphiques. De devoir prouver, argumenter, expliquer. Est-ce que j’en veux à mon ex-partenaire violent? Pas vraiment.
Je suis en colère contre le patriarcat, contre un système qui valide la domination des hommes sur les femmes et l’utilisation de la violence comme moyen de contrôle.
Une société qui éduque ses garçons à réprimer leurs sentiments
Je suis en rage contre une société qui éduque ses garçons à réprimer leurs sentiments et à se construire dans le dépassement de soi et l’agressivité. Une société qui n’éduque pas ses filles à se battre et à réclamer leur juste place. Comme tout le monde, je suis pleine de haine contre cette pandémie, qui renforce et exacerbe les tensions familiales et fait bondir les chiffres de la violence conjugale.
Aujourd’hui, c’est la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Une date choisie en hommage aux sœurs Mirabal, trois militantes dominicaines violemment assassinées le 25 novembre 1960 sur les ordres du dictateur Rafael Trujillo. Le 6 décembre, nous fêterons le 31e anniversaire de la fusillade à l’École Polytechnique de Montréal, où un homme a assassiné 14 femmes parce qu’il « haïssait les féministes ». Dans le monde, 137 femmes sont tuées par un membre de leur famille chaque jour.
Alors non, cette chronique n’est pas très drôle. Mais je n’ai pas le choix.