Les réseaux sociaux nous ont menti
Des cerfs se promenant nonchalamment dans les rues désertes de Paris, un puma à la recherche de nourriture dans un quartier populaire de Santiago au Chili, des eaux translucides accueillant à nouveau poissons, pieuvres et cygnes à Venise… : voilà plusieurs semaines que les images idylliques d’une faune reprenant librement ses droits ont envahi nos réseaux sociaux. Les mesures de confinement permettraient aux animaux de folâtrer gaiement dans nos parcs et forêts délaissés, tandis que la baisse des activités industrielles et du transport aérien entrainerait une amélioration drastique de la qualité de l’air.
De toutes parts, des voix s’élèvent pour célébrer l’avènement d’un nouveau monde, plus solidaire, plus beau. La mobilisation sans précédent contre la COVID-19 serait la première étape d’une prise de conscience collective autour des enjeux environnementaux et sociétaux. Les initiatives citoyennes se multiplient à travers le pays, chacun (re)découvrant le plaisir de faire de son pain, le commerce local et les joies de la vie de famille. L’on se souvient soudainement de la solitude de notre voisine d’en face, de la patience des institutrices et du courage des infirmières. La bienveillance guide nos pas. Et puis, #çavabienaller.
Tout n’est pas rose
Sauf que tout n’est pas si rose. Les réseaux sociaux nous ont menti.
Ce que n’expliquent pas les jolies images sur Instagram, c’est que c’est souvent poussés par la faim, privés des miettes laissées par les promeneurs en goguette, que les animaux sauvages s’aventurent dans nos jardins. Ce que ne dit pas cette publication sur LinkedIn c’est que oui, le télétravail c’est bien joli, mais que pour en profiter, il faut un travail.
Or, la pandémie a entraîné la perte de deux millions d’emplois au Canada pour le seul mois d’avril. Ce que ne raconte pas ce groupe sur Facebook aux couleurs de l’arc-en-ciel, c’est que les violences domestiques explosent, que les parents n’en peuvent plus et que les plus fragiles sombrent dans la précarité.
Mais l’on va apprendre, nous martèle-t-on. Nous allons tirer les leçons de nos erreurs pour construire un monde meilleur. Cette crise n’aura pas été vaine. La société dont nous posons les bases aujourd’hui sera résiliente, créative et engagée. On ne prendra plus l’avion à tout-va, on consommera responsable, on privilégiera les circuits courts. On placera l’humain au centre des décisions. Ok. Admettons. Attendons de voir avant de juger et laissons le bénéfice du doute aux rêveurs. Pendant ce temps, le secteur gazier ne rêve pas, lui. Il agit.
La belle vie pour les gazoducs
L’agence fédérale Exportation et développement Canada vient d’accorder un prêt jusqu’à 500 millions de dollars à la multinationale TC Energy pour l’aider à financer la construction du gazoduc Coastal Gaslink. Oui, ce même gazoduc qui traversera le territoire de la communauté autochtone des Wet’suwet’en, en Colombie-Britannique, sans que l’ensemble de ses membres aient marqué leur accord. Celui-là même qui permettra, à terme, l’exportation de plus de 700 000 litres de gaz naturel par jour vers le marché asiatique.
Selon ses défenseurs, le gaz naturel serait « un pas dans la bonne direction », puisqu’il remplacerait d’autres sources d’énergie encore plus polluantes, comme le charbon, le mazout ou le diesel. En d’autres termes : le gaz serait bien parce que moins pire. Argument intéressant, non? Il existe tout un tas d’alternatives écologiques et durables, comme les énergies solaire, éolienne, hydraulique et géothermique, mais on préfère choisir d’investir dans une énergie fossile, parce qu’elle est « moins pire ». Intéressant, vraiment.
Faire fi des bonnes pratiques
Il faut bien relancer l’économie, nous dit-on. Donner du travail aux gens. Ça tombe bien, le secteur de l’énergie renouvelable, lui aussi, crée des emplois. Avec un net avantage : il ne bousille pas la planète. Certes, l’industrie gazière est rentable… À condition d’en ignorer les couts climatiques et environnementaux! La crise sanitaire à laquelle nous devons faire face est injuste. Elle fragilise nos sociétés au plus haut point. Mais la crise environnementale qui s’annonce si nous ne changeons rien sera bien pire.
Les quelques mois d’arrêt forcé que nous venons de vivre nous ont donné l’occasion de revoir nos priorités et de repenser nos modes de consommation. Mais à quoi bon renoncer à nos vacances au Mexique si nos gouvernements continuent de faire fi des bonnes pratiques internationales en matière de gestion durable de l’énergie et de lutte contre le réchauffement climatique?