Cachez ce sang que je ne saurais voir
En moyenne, une personne possédant un utérus est menstruée de l’âge de 13 ans à l’âge de 51 ans, environ une fois par mois, pour des périodes de trois à sept jours. Rien de plus naturel ou banal, donc. Pourtant, les menstruations restent stigmatisées dans la plupart des régions du monde et continuent de susciter crainte, gêne et incompréhension, ici comme ailleurs.
Dans certaines communautés du Népal, par exemple, les femmes sont contraintes de s’exiler dans une hutte à l’écart du village durant toute la durée de leurs règles. Une pratique dangereuse interdite par la loi, mais qui semble perdurer, hélas, dans certaines régions reculées.
Cette notion d’impureté se retrouve dans la plupart des religions, qui ont interdit ou interdisent encore l’accès de leurs lieux sacrés aux personnes menstruées.
Plus proche de nous, un sondage américain montre que plus d’une femme sur deux se sent honteuse pendant ses règles, et qu’une sur dix a déjà été humiliée par un membre de sa famille à ce sujet.
Au Canada, un récent rapport révèle qu’à peine 46 % de la population se sent à l’aise de parler ouvertement de menstruations. Les jeunes filles apprennent d’ailleurs vite à utiliser des métaphores pour désigner leurs règles : avoir ses «ragnagnas» ou «être dans sa semaine», par exemple.
Même les publicités pour protections hygiéniques évitent soigneusement de décrire les menstruations, préférant souvent un liquide bleu jugé moins choquant.
Si ces pratiques peuvent sembler inoffensives, elles renforcent l’idée que les règles sont quelque chose de sale, dont on ne peut parler en public – une stigmatisation qui puise ses origines dans le patriarcat et qui vise à contrôler le corps des femmes en les obligeant à se plier à certaines normes sociales.
Cette stigmatisation entraine un retard dans les connaissances et un manque d’information quant à la santé menstruelle, tant parmi le grand public que chez les spécialistes. Elle peut se traduire par des jours d’école et de travail manqués, des infections et des grossesses non désirées.
Les maladies liées aux menstruations sont elles aussi régulièrement passées sous silence ou ignorées. Par exemple, on a découvert qu’au Canada, plus de 500 000 femmes, soit 7 % des Canadiennes, souffrent d’endométriose, un trouble courant qui cause des douleurs menstruelles intenses, des crampes, des règles abondantes et l’infertilité.
Vu que cette maladie est méconnue, il faut généralement plus de cinq ans avant que les femmes obtiennent un diagnostic, ce qui les prive d’un traitement approprié.
La stigmatisation des règles peut également avoir des répercussions économiques et pratiques. Suivant les produits menstruels choisis, les dépenses à l’échelle d’une vie peuvent atteindre 5 000 $ pour les personnes menstruées, et ce, sans compter les éventuels médicaments contre la douleur et les lessives supplémentaires nécessaires.
Des couts que tout le monde ne peut pas se permettre : une enquête a montré qu’une personne menstruée sur cinq au Canada a du mal à s’offrir les produits hygiéniques dont elle a besoin, et que 34 % des Canadiennes ont déjà dû sacrifier quelque chose dans leur budget pour pouvoir s’offrir des produits menstruels.
Ce phénomène porte un nom : la précarité menstruelle. Elle a d’importantes répercussions psychologiques, sociales, scolaires et professionnelles, notamment en raison du double tabou des règles et de la précarité.
Pour pallier ce problème, en Écosse, des tampons et serviettes hygiéniques sont offerts gratuitement depuis 2022 à toutes les personnes qui en ont besoin, grâce à l’entrée en vigueur d’une loi contre la précarité menstruelle.
Au Canada, dans certaines provinces, comme en Colombie-Britannique, en Ontario et en Nouvelle-Écosse, les établissements scolaires distribuent gratuitement des produits menstruels aux élèves.
Il est grand temps que d’autres provinces emboitent le pas. Que les personnes puissent avoir accès à des informations claires et précises sur leur santé et leur corps, et qu’elles n’éprouvent aucune gêne à parler de leurs règles.