Un monde d’hommes
Téléphones trop grands, dispositifs de sécurité automobiles inadéquats, médicaments surdosés… Nombreux sont les objets du quotidien, conçus selon des normes masculines, qui se révèlent inadaptés, voire dangereux, pour les femmes.
L’autre jour, j’étais chez le dentiste, bien installée dans mon fauteuil parfaitement désinfecté, prête pour mon examen buccal. L’hygiéniste enclenche le moteur du siège pour le coucher. Une fois celui-ci à plat, me revoilà, comme d’habitude, en train de me hisser vaille que vaille, petit coup de hanche à droite, petit coup de hanche à gauche, pour que ma nuque atteigne l’appuie-tête. “One size fits all, you know”, me dit l’hygiéniste avec un demi-sourire, embêtée mais résignée face à cette situation.
Certes, ce n’est pas la fin du monde. Un peu de gymnastique n’a jamais fait de mal à personne. Puis ça détend l’atmosphère de jouer au ver de terre chez le dentiste.
Mais lorsqu’on est une femme, les sources de frustration s’accumulent, jour après jour.
Pourquoi ne suis-je jamais confortablement installée sur une table de massothérapie? Pourquoi mes seins sont-ils à l’étroit dans les t-shirts soi-disant unisexes? Pourquoi dois-je toujours faire la file pour aller aux toilettes alors qu’il n’y a personne dans celles réservées aux hommes? Pourquoi la majorité des téléphones sont-ils trop grands pour mes mains? Pourquoi fait-il si froid dans les bureaux partagés?
Tout simplement parce que nous vivons dans un monde d’hommes, créé par des hommes pour les hommes. La valeur par défaut, le standard est l’homme.
Conséquences mortelles
Les femmes constituent plus de la moitié de l’humanité. Pourtant, les objets du quotidien ont pour la plupart été conçus et réfléchis en se basant sur des normes masculines.
Dans son livre Femmes invisibles, la journaliste britannique Caroline Criado Perez explique que dans bien des secteurs, la personne de référence mesure 1,76 m et pèse 70 kg, soit la taille et le poids moyen d’un homme de 35 ans. Or, la taille moyenne des femmes au Canada est de 163,9 cm.
Cela peut avoir des conséquences très graves. En matière de dispositifs de sécurité automobiles, par exemple. Une étude américaine démontre ainsi que les femmes ont presque deux fois plus de chances que les hommes de subir des blessures graves ou mortelles lors d’une collision frontale. En cause? Des appuie-têtes trop hauts, des ceintures de sécurité inadaptées à leur morphologie et une position souvent plus proche du pare-brise afin d’atteindre les pédales.
Notons par ailleurs que ce n’est que depuis 2011 que les Etats-Unis ont introduit des mannequins féminins dans les tests de collision. Avant cela, et bien… personne n’y avait jamais pensé!
Surdosage et mauvais diagnostics
Lorsqu’on se représente une victime d’une crise cardiaque, on imagine souvent un homme plié en deux au sol par la douleur, les mains crispées sur la poitrine. Très rarement, on pense à de la fatigue extrême, de l’essoufflement ou des nausées. Pourtant, ce sont les signes les plus courants d’un accident cardio-vasculaire chez les femmes, ce qui entraine un retard de diagnostic d’une heure trente en moyenne!
Comme souvent dans le domaine de la santé, les symptômes connus – tant du côté du grand public que des professionnel×les – sont les symptômes des hommes. À cela s’ajoute le fait que la plupart des recherches et des essais cliniques portent sur des sujets masculins.
Les femmes sont régulièrement exclues des études sur les médicaments en raison des risques de grossesse. Même lorsque les médicaments sont testés sur des animaux, ce sont majoritairement des mâles!
Résultat : le corps médical manque cruellement de données fiables sur les spécificités du métabolisme féminin. Avec à la clef nombre de surdosages et maints effets secondaires indésirables.
Pour un nouveau standard
Nous vivons dans un monde pensé par et pour les hommes blancs valides. Celles et ceux qui le peuvent se sont adapté×es à ce monde au prix d’ajustements et d’efforts constants. Mais les autres?
Quelle place notre société donne-t-elle aujourd’hui aux personnes porteuses d’un handicap, à toutes et ceux qui n’entrent pas dans les « normes », à celles et ceux qui n’ont pas ou plus les ressources pour s’adapter? Ne serait-il pas temps de revoir en profondeur nos manières de penser afin de construire – enfin – un monde plus inclusif?