Le mauvais genre de l’histoire
Octobre est le mois de l’histoire des femmes au Canada. L’occasion de faire le point sur la place des femmes dans les manuels scolaires et les imaginaires collectifs. Et de constater les progrès qu’il reste à faire.
Je me souviens des pages cornées de mes manuels d’histoire à l’école, toutes flétries par les hordes de mains adolescentes avant moi. Au fil des chapitres se succédaient les portraits des « grands » hommes, leurs découvertes scientifiques, leurs réalisations politiques et leurs faits d’armes. Parfois, au détour d’une illustration, une femme derrière son métier à tapisserie ou au bras d’un puissant. Très rarement, la biographie d’une reine ou d’une mécène. Pas beaucoup de modèles auxquels m’identifier à l’époque, encore moins de cadre théorique visant à m’interroger sur les logiques de domination mises en œuvre.
Vous me direz que c’était les années 90, que bien du chemin a été parcouru depuis lors pour donner plus de visibilité aux femmes. Et bien, pas tant que ça.
Une étude menée en Ontario sur les manuels scolaires publiés dans les années 2000 a révélé que des femmes ne sont mentionnées que dans 5 % des textes, et qu’elles n’apparaissent que dans 16 % des images. De plus, celles-ci sont quasiment toutes blanches et appartiennent presque toujours aux plus hautes classes socio-économiques.
C’est peu dire que l’histoire enseignée dans nos écoles ne présente qu’une image très partielle de la réalité, occultant par ailleurs complétement les groupes minorisés et les multiples discriminations vécues par ces derniers, tout comme leurs contributions inestimables à la société.
Une approche patriarcale de l’histoire
De tout temps, les femmes ont travaillé dans l’agriculture, l’artisanat, le commerce, l’industrie, les services. Elles ont été savantes, philosophes, écrivaines, artistes. Elles ont activement participé aux mouvements sociaux et révolutionnaires. Elles ont gouverné des pays. De riches et puissantes communautés religieuses féminines ont joué un rôle important aux niveaux politiques, économiques, social et culturel.
L’effacement des femmes dans les manuels d’histoire ne résulte donc pas de l’histoire elle-même mais bien de la manière dont certain·es ont choisi de la raconter.
Jusqu’il y a peu, les historien·nes, ancré·es dans une tradition académique patriarcale, s’intéressaient surtout à la sphère publique, aux guerres et aux relations de pouvoir notamment, où les hommes prédominaient. Les sphères domestiques, sociales et culturelles, jugées moins nobles, suscitaient peu d’intérêt, tout comme l’analyse des relations de pouvoir entre les différents groupes sociaux.
Où sont les femmes?
Mais qu’en est-il en dehors des salles de classe? Les femmes sont-elles plus visibles? Pas vraiment. Ainsi, 80 % des biographies en français sur l’encyclopédie en ligne Wikipédia sont consacrées à des hommes – une lacune que le projet les sans pagEs tente de combler depuis plusieurs années. Quant au célèbre concours de la plus grande personnalité canadienne organisé par CBC en 2004, il ne compte tout simplement aucune femme dans son top dix.
Autre exemple : celui des nécrologies publiées par le journal américain New York Times. Il y a quelques années, la journaliste Amy Padnani s’est rendue compte que très peu de femmes et de personnes de couleur avaient fait l’objet d’une biographie dans le prestigieux journal à leur décès. La poète Sylvia Plath ou la pionnière des sciences informatiques Ada Lovelace, par exemple, n’ont pas eu cet honneur. La journaliste tente depuis plusieurs années de rattraper le retard avec son projet Overlooked, qui raconte les histoires de personnes issues de communautés marginalisées.
Mais si les femmes sont aussi peu présentes dans les imaginaires collectifs et les encyclopédies, c’est aussi parce que nombre d’entre elles se sont vues tout simplement voler les mérites de leurs découvertes par des hommes, comme Lise Meitner pour la fission nucléaire ou Mileva Maric Einstein, épouse du seul Einstein dont l’histoire a retenu le nom. Une pratique assez courante dans les arts également : une théorie attribue par exemple une partie des œuvres de Johann Sebastian Bach à sa femme, Anna Magdalena.
Réécrire l’histoire
L’histoire que nous connaissons est une vision subjective de l’histoire, écrite majoritairement par des hommes. Elle s’inscrit dans un cadre de pensée patriarcal, qui a relégué les femmes dans les marges.
En ce mois de l’histoire des femmes, réapproprions-nous nos histoires. Nous ne sommes pas des personnages secondaires. Nous faisons partie du récit, et nous exigeons que nos voix comptent.